Notre film coup de coeur de ce 13 avril 2018
LA SOIF DU MAL
Un film réalisé par Orson Welles en 1958, avec Orson Welles, Charlton Heston, Janet Leigh, Marlene Dietrich, Zsa Zsa Gabor.
Musique d’Henry Mancini.
Le Pitch
Un couple en voyage de noces. La frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Une bombe explose… Ceci pourrait être un fait divers banal…
Orson Welles transcende un roman policier insipide (Badge of evil de Whit Mastersoon) pour en faire un chef d’œuvre du septième art. L’affrontement entre deux policiers, deux conceptions de la Justice vire à une lutte entre le Bien et le Mal avec une profondeur métaphysique.
Dix ans après l’échec commercial de « La Dame de Shangaï », Welles tourne ici son
huitième film, le dernier aux Etats-Unis.
Le plan séquence initial a été soigneusement réglé durant dix jours pour nous plonger au cœur de l’action dans un monde glauque, dans le pourrissement d’une société…
« Touch of evil » date de 1958 mais le film a gardé toute sa force et les dernières répliques de Marlène Dietrich – grande amie de Welles – résument peut-être qui était Quinlan-Welles…
Appréciez et dégustez chaque plan wellesien…
ORSON WELLES
Comment résumer la vie d’Orson Welles en quelques lignes ? Peut-on synthétiser la vie d’un homme par un Rosebud ? C’est le thème de « Citizen Kane », son premier film – et le plus connu – mais il faut tenter d’aborder l’individu par touches, comme un peintre construirait son tableau pour ne pas tomber dans une chronologie lassante.
Welles fut réalisateur, acteur, producteur, écrivain, metteur en scène de théâtre, magicien, peintre et touche à tout de génie. Né en 1915, il est fasciné par le théâtre dès son plus jeune âge et joue Shakespeare et Tchekov dès ses 16 ans. A 22 ans, il fonde avec John Houseman sa propre compagnie théâtrale : le Mercury Théâtre. Par ailleurs, il publie trois ouvrages sur les pièces shakespeariennes qui seront utilisés en Angleterre jusqu’aux années soixante. A 23 ans, il fait la une de Time Magazine et, fin octobre 1938 terrorise l’Amérique en faisant croire à un débarquement de martiens dans le Wisconsin, état américain où il est né.
Le réalisme du rendu radiophonique finit d’asseoir la notoriété d’Orson. Les studios lui déroulent le tapis rouge pour son premier film. Après avoir pensé à la mise en scène du roman de Joseph Conrad – Au cœur des ténèbres – qui deviendra
Apocalypse Now par Francis Ford Coppola, Welles choisit de raconter –ou faire raconter- la vie de Charles Foster Kane par les différents témoins de sa vie. Chaque interlocuteur connaissait une facette du personnage mais, au terme du film, la clé du film nous échappe.
Le Rosebud de Kane (ou d’un de ses modèles dans la vie, Randolph Hearst, magnat de la presse) garde son mystère plus de 65 and plus tard. Le film reste un chef d’œuvre
technique par ses focales photographiques si proches de l’œil humain, ses cadrages
audacieux, ses plongées et contre-plongées virevoltantes, son noir et blanc magique et inoubliable.
Malheureusement, Welles a dès son premier film des ennuis avec les studios hollywoodiens. Les budgets sont énormes, les ambitions du Génie jamais rencontrées et, sans cesse, Welles veut perfectionner le montage, ce qui retarde la sortie du film. Le film sera donc un honorable succès commercial mais une Bible pour quelques générations de cinéphiles.
Pour son second film, Welles a aussi de grandes visées mais les studios lui retirent le Final Cut sur « La Splendeur des Amberson », qui sera remodelé par Robert Wise pour pouvoir sortir en salles. A ce moment, Welles est déjà au Brésil pour son troisième film… qui ne sortira qu’après sa mort « It is all true ». Il enchaine par un film classique, « Le Criminel » en 1946 mais ce film est un des premiers à évoquer la Shoah.
Deux ans plus tard, il tourne « MacBeth » et surprend les studios en ne tournant que
quelques semaines pour boucler le projet. Comme acteur, il joue le rôle principal d’Harry Lime dans « Le Troisième Homme » de Carol Reed. Le nom de Harry Lime est prononcé plus de vingt fois avant que Welles n’apparaisse à l’écran. Qui a vu le film s’en souvient.
Welles confirme ici qu’un grand rôle au cinéma ne se compte pas en minutes devant la caméra. Brando s’en rappellera pour son inoubliable rôle dans « Apocalypse Now »
Dès 1946, Welles, qui est déjà en procédure de divorce d’avec Rita Hayworth, la métamorphose dans « La Dame de Shangaï ». Le rousse incendiaire devient blonde platine et Welles l’abandonne à la fin du film non sans que le film reste dans nos mémoires par ses miroirs déformants de la fin du film, renvoyant à l’infini les reflets du couple Welles/Hayworth, déjà mort dans la vraie vie. Welles jubile, les producteurs s’étranglent de rage.
Homme digne de la Renaissance, curieux de tout, Welles jette son dévolu sur Shakespeare et via « Othello » (1952) et « Falstaff » (1965) nous rappelle combien la trahison en amitié et la jalousie sont des ingrédients très sûrs pour produire deux chefs d’œuvre cinématographiques.
En 1958, Welles tourne son dernier film hollywoodien pour révolutionner le film noir avec « Touch of Evil ». Le sujet du film est complexe mais son style expressionniste et baroque vous marquera à jamais. Les répliques de Marlène Dietrich à la fin du film concernent-elles le héros du film ou Welles lui-même ? A vous de juger.
Après avoir tourné « Le Procès » à Paris (dans la gare d’Orsay désaffectée), Welles erre en Europe (surtout en Italie, Espagne et France) à la recherche de capitaux pour réaliser ses ambitieux projets. Il accepte de très mauvais rôles comme acteur pour garder sa liberté d’Artiste et de Créateur.
Il tourne en 1968 « Une Histoire Immortelle » pour la télévision française et en 1973 « F for Fake » (Vérités et Mensonges ) qui garde toute son actualité à notre époque de Fake News, trumpiennes ou autres.
Déçu de ne pouvoir réaliser d’ambitieux films (seulement 13 en 70 ans !!) Welles mourra à 70 ans épuisé d’avoir énormément travaillé, d’avoir pleinement joui de la vie pour revivre à jamais dans nos mémoires. Il laisse des dizaines de projets inaboutis (Guerre et Paix ; Cyrano de Bergerac ; la Bible ; Moby Dick) conservés aujourd’hui au Film Museum de Munich.
Comme le disait Jean Cocteau à son sujet, il est difficile d’être singulier dans un monde pluriel…